« Pour lutter contre le chômage, il y a deux révolutions culturelles à opérer : l’une à l’école, l’autre dans l’entreprise »

Selon l’Observatoire des inégalités, plus de la moitié des personnes pauvres sont inactives et une part importante d’entre elles n’ont jamais réussi à entrer dans le monde du travail. Comment expliquer cette rupture entre une part significative des Français et l’Entreprise ? Comment lutter contre le chômage et le déterminisme social qui condamne encore tant de jeunes à la pauvreté ? Depuis plus de 30 ans, Denis Metzger, président de Break Poverty Foundation, avance avec un pied dans l’humanitaire et l’autre dans l’entreprise. Il nous apporte son éclairage.

 

Le chômage semble aujourd’hui se transmettre de génération en génération. Comment expliquer le phénomène ?

Le déterminisme social est un phénomène complexe et un grand nombre de facteurs entrent en jeu.

Tout d’abord, tous les enfants ne sont pas égaux face à l’école, et les inégalités s’y renforcent.

Si la répartition des budgets de l’éducation nationale vise à prioriser les établissements en zone d’éducation prioritaire, la réalité montre que les établissements hors éducation prioritaire sont souvent mieux dotés. Et pourtant, les enfants issus de familles défavorisés requièrent un accompagnement plus important et des moyens renforcés pour réussir leur scolarité. Ce besoin est d’autant plus prégnant que beaucoup d’élèves sont dans l’autocensure en matière de réussite scolaire. 

L’autocensure est la deuxième cause du déterminisme social. De nombreuses études mettent en avant que les jeunes issus de milieux modestes ont tendance à viser des formations moins élevées que leur niveau scolaire le leur permet. Ils s’arrêtent souvent au bac, qui est pour eux une fin en soi. Ces jeunes, pour lesquels l’école aurait dû être un facteur d’égalité des chances, ne se projettent pas dans des études supérieures malgré leur niveau et leurs capacités. Cette autocensure est d’autant plus forte que ces élèves manquent souvent, autour d’eux, de figures inspirantes qui les encourageraient à réussir. Comment croire, quand on a grandi dans le bassin minier, que le travail est une opportunité, un vecteur de réussite, alors qu’il a été vécu comme un traumatisme par les parents ? Comment persévérer à l’école quand vous n’avez pas de modèle de réussite dans le quartier dans lequel vous grandissez ? Certains héritages peuvent se révéler lourds à porter.

Le poids géographique du chômage est un autre facteur important du déterminisme social.  Tandis que certains bassins d’emploi sont très dynamiques d’autres sont à la peine. Dans certains territoires français le chômage atteint 27% ! Il n’est alors pas rare que plusieurs générations d’une même famille soient touchées par le chômage. Un contexte difficile qui contraint souvent les jeunes à un grand défaitisme face à l’avenir. 

Enfin, il y a l’absence de réseau. Avoir dans son entourage des personnes épanouies au travail, recevoir de l’aide pour choisir son orientation ou trouver un stage sont des facteurs déterminants dans la réussite scolaire et professionnelle… Le manque de réseau est un handicap qui maintient les enfants dans l’isolement et le chômage. Sans parler bien sûr de la discrimination dont les jeunes de nos quartiers sont victimes et qui les pénalisent dans l’accès à l’emploi.

 

Alors, comment aider ces jeunes qui sont encore près de 20% à subir le chômage ?

Je suis convaincu que la première solution au chômage des jeunes des quartiers dits prioritaires de la ville (QPV) se trouve dans la prévention. Car il est plus facile de former un jeune de 15 ans plutôt que d’amener vers l’emploi une personne de 30 ans qui n’a jamais travaillé. A Nantes, zone de plein emploi dans de nombreuses filières, le chômage des jeunes atteint 38% dans les QPV. Il est urgent d’agir !

Dans ces quartiers vulnérables, il faut intervenir en quatre temps : dès la petite enfance qui constitue le terreau de l’apprentissage, car les capacités d’un enfant se développent entre 0 et 3 ans. Puis tout de suite au primaire pour éviter l’échec et prévenir le décrochage scolaire. Ceci est primordial quand on sait que dès le premier trimestre du CP, certains enfants semblent déjà condamnés à l’échec. Et ces enfants sont issus de familles pauvres. En troisième lieu, il faut sensibiliser les adolescents au monde de l’entreprise dès le collège. L’école est très tournée vers le passé, elle doit à présent se tourner vers l’avenir ou tout du moins vivre au présent. Cela passe par une ouverture aux entreprises et aux métiers dans lesquels les jeunes peuvent commencer à se projeter ! Enfin, il faut revaloriser les filières techniques qui doivent être conçues comme des tremplins de réussite et non des voies de garage. En Allemagne par exemple, les filières techniques ou technologiques sont excellentes, adaptées aux motivations des jeunes et connectées avec l’entreprise. Un long chemin reste à parcourir dans notre pays pour y parvenir.

 

De nombreux Français se retrouvent au chômage alors qu’ils vivent déjà en situation précaire. Peut-on leur redonner confiance ?

Je pense en effet qu’il y a un sujet à creuser autour de la confiance. Nous vivons une époque compliquée où les Français expriment de la défiance vis-à-vis de la croissance économique qu’ils perçoivent comme une menace libérale venant de l’étranger. Ils assimilent la croissance à la mondialisation et cela les effraie. Or, sans croissance, il n’y a pas d’enrichissement et par conséquent, pas de redistribution de la richesse. Et si la croissance seule n’est pas suffisante, elle est nécessaire pour inverser les courbes de la pauvreté.

Alors, quelles solutions proposer ? La première recette pour agir en faveur de la lutte contre la pauvreté passe nécessairement par la redynamisation de l’emploi. Ensuite, je dirais qu’il y a deux révolutions culturelles à opérer : l’une à l’école, l’autre dans l’entreprise. Cela veut dire que l’école doit adapter la formation des jeunes au monde économique d’aujourd’hui et que les entreprises doivent apprendre à les séduire et mieux les accueillir. Le système scolaire envoie beaucoup de jeunes à l’échec : et s’ils ont échoué à l’école, l’entreprise ne leur offre souvent pas de seconde chance.

Il faut en finir avec ce système où les entreprises ne parviennent pas à recruter tandis que les Français sont au chômage. La rencontre doit pouvoir se faire ! Là encore, la clé du problème se situe à l’école. Rappelons que la France est à la fois le pays de l’OCDE qui investit le plus dans l’éducation tout en étant le plus inégalitaire. Notre école peine à sortir les jeunes de la pauvreté. Savez-vous qu’il faut six générations pour sortir de la pauvreté en France, contre deux au Danemark ? Enfin les entreprises ont aussi un rôle à jouer. Elles doivent cesser de penser qu’elles ne sont pas coresponsables et doivent s’adapter elles aussi à la jeunesse. Pour cela, elles doivent devenir plus attirantes, être des tremplins et offrir des carrières menant au succès pour un plus grand nombre de jeunes.

 

 

 

Crédit photo : Break Poverty Foundation.