
18 Juil 2025 La voie professionnelle en quatre traits caractéristiques
La voie professionnelle est une voie largement méconnue alors qu’elle est une voie majeure de notre système scolaire et qu’elle symbolise les inégalités scolaires tant elle concentre d’élèves en difficultés.
Quatre caractéristiques permettent de mieux l’appréhender :
- Elle est une voie majeure de notre système scolaire puisqu’elle accueille un tiers des élèves après la classe de troisième
- Elle visait originellement une insertion professionnelle rapide mais de plus en plus de jeunes y envisagent des études supérieures
- Foyer des inégalités scolaires, elle concentre les élèves qui rencontrent le plus de difficultés sociales et scolaires …
- …et, à ce titre, elle reste considérée comme une voie de relégation
1. Les voies professionnelles concentrent plus d’un tiers des élèves qui poursuivent leurs études après les collège
L’enseignement professionnel fait référence aujourd’hui à des voies qui mènent principalement à deux diplômes : le CAP (Certificat d’Aptitude Professionnelle) et le BAC Pro (Bac Professionnel). Il occupe une place majeure dans notre système éducatif car, comme l’indique le schéma ci-dessous, ce sont près d’un tiers des élèves à l’issue de la 3ème s’oriente dans cette voie. Cette mutation est le fruit de la massification scolaire dessinée par les mandatures successives visant à amener 80% d’une classe d’âge au BAC. Le BAC Pro, crée en 1985 dans cette perspective, est ainsi progressivement devenu le deuxième baccalauréat de France puisque sur la dernière génération recensée, ce sont 43,8% des élèves qui ont obtenu le BAC général, 20,1% le BAC pro et 15,7% le BAC technologique.

Malgré cette place majeure au sein de notre système éducatif, la voie professionnelle reste difficile à appréhender tant elle constitue un univers hétérogène de formations :
- On y retrouve deux diplômes relativement différents : le CAP et le BAC Pro. Le CAP, qui représente un tiers des jeunes qui s’oriente vers la voie pro à l’issue de la 3ème, se prépare généralement en deux ans. Le BAC Pro, principal pourvoyeur d’élèves de la voie pro, quant à lui, se prépare en trois ans. Ces deux diplômes sont étroitement liés, et d’un point de vu chronologique, il n’est pas rare – pour 20% d’entre eux – que des jeunes inscrits en CAP poursuivent à l’issue de leurs deux ans de formation un BAC Pro afin d’étoffer leurs compétences
- Chacun de ces diplômes peut s’effectuer sous voie scolaire ou en apprentissage. Comme on l’observe sur le schéma, l’apprentissage est quasiment inexistant en BAC Pro alors qu’il représente presque 50% des jeunes inscrits en CAP à l’issue de la 3ème
En cumulant les différentes filières possibles en BAC Pro et en CAP – filières scindées en catégories de productions ou de services – ce sont ainsi plus de 400 diplômes qui sont accessibles !
2. Des filières pour s’insérer rapidement dans l’emploi… mais de plus en plus d’élèves qui poursuivent dans le supérieur
Derrière cette hétérogénéité de formations, les voies professionnelles dessinent une ambition commune originelle : former les élèves à un métier en leur apportant des compétences techniques applicables à court terme pour s’insérer sur le marché du travail. La pédagogie dispensée en lycée professionnel, faisant la part belle aux enseignements professionnels, en est le reflet (voir encadré).
Enseignements professionnels, enseignements généraux, stages : l’emploi du temps des jeunes en voie professionnelle
Sur les 3 ans d’un BAC professionnel, la scolarité d’un élève diffère du parcours d’un jeune en BAC général sur au moins deux aspects :
- La nature des enseignements : les élèves voient leur emploi du temps partagé entre enseignements généraux (français, mathématiques, histoire-géographie, sciences, langue vivante, éducation morale et civique) et enseignements professionnels. Selon les spécialités, ces derniers sont réalisés en atelier, dans un laboratoire ou sur un chantier. Cette distinction structure les équipes éducatives constituées de professeurs de matières générales et de professeurs de matières professionnelles. On notera que le professeur de matière générale est toujours bivalent, exerçant dans deux disciplines (par exemple, mathématiques – sciences physiques ou lettres – langue vivante).
- L’importance des stages, baptisés périodes de formation en milieu professionnel (PFMP), qui représentent 18 à 22 semaines sur les trois ans de la scolarité.
Mais dans une logique générale d’élévation du niveau de diplôme impulsée par les pouvoirs publics, le rôle insérant du BAC professionnel s’est progressivement doublé d’une mission d’accès aux études supérieures. Ainsi, en 2023, ce sont près de 47% des lycéens ayant obtenus leur BAC Pro qui ont décidé de poursuivre dans l’enseignement supérieur. Ce taux était de moins de 35% en 2010.
Cette poursuite vers le supérieur, encore rare si on la compare aux Bac généraux – 93% poursuivent – ou aux Bac Techno – 81% poursuivent –, reste malgré tout marquée par une « coloration » technique : plus de 80% des jeunes de BAC Pro qui poursuivent, intègrent un BTS (Brevet de Technicien Supérieur) et 10% à peine vont à l’université. Ces proportions s’inversent en BAC Général où 10% à peine des élèves s’orientent en BTS contre plus de 60% à l’université.

3. Une voie qui concentre les inégalités scolaires : des jeunes issus de milieux défavorisés aux faibles résultats scolaires
Si l’ambition initiale des voies professionnelles est de permettre à des jeunes souhaitant s’insérer rapidement sur le marché de l’emploi, la première raison d’orientation vers ces voies est avant tout le faible niveau scolaire des élèves qui ne leur permet pas « d’espérer » une autre voie. Comme le résume très bien F.Dubet et M.Duru-Bellat, spécialistes des inégalités scolaires, « par le jeu des orientations, les enfants de milieu populaire aux acquis les plus fragiles sont écartés du cursus général et n’accèdent au niveau du baccalauréat qu’au prix d’une relégation dans les filières professionnelles ».
En matière de niveau scolaire, les statistiques sont sans appel quel que soient les indicateurs utilisés, permettant de tirer deux conclusions :
- La part des élèves en grande difficulté scolaire est 5 à 6 fois supérieure au sein des voies professionnelles par rapport à la voie générale. Par exemple, on y compte un élève sur quatre qui a de très fortes difficultés en lecture contre un élève sur vingt pour les élèves de la voie générale.
- Les élèves de CAP y concentrent une grande partie des fragilités. Par exemple, à l’entrée en première année de CAP, près d’un sur deux est « en retard » (du fait en général d’un redoublement), une part qui est deux fois moins importante pour les élèves de BAC Pro et dix fois moins importante pour les élèves de voie générale!


4. Une « voie de garage » : une voie déconsidérée
« L’enseignement professionnel fait rarement la une des médias sauf pour dire, de façon rituelle à chaque changement de gouvernement, qu’on va le revaloriser et en faire une voie de promotion… pour les enfants des autres ! » écrivait Jean-Paul Delahaye, ancien directeur général de l’enseignement scolaire, soulignant la place particulière de la voie professionnelle dans les représentations.
Premièrement, c’est une voie mal connue. Mal connue des décideurs notamment qui n’ont pour la plupart jamais suivi de telles filières ou occupés des emplois en lien avec ces formations : 82% des députés français sont diplomés du supérieur et, en 2017, le parlement français ne comptait aucun ouvrier et quatre employés dans ses rangs, une proportion qui s’élevait à 9,2% en 1976.
Deuxièmement, c’est une voie mal-aimée, considérée comme une « voie de garage » par opposition à la voie générale. Dans l’opinion publique, tout d’abord, près de 8 français sur 10 considèrent que c’est une voie qui n’est pas assez valorisé. Au sein de l’institution scolaire, ensuite, puisque l’orientation en conseil de classe de 3ème vers les voies professionnelles s’effectue avant tout en fonction du faible niveau scolaire des élèves, il y est communément admis qu’on y envoie les élèves les plus en difficulté. Ce sont avant tout des voies pour « ceux qui n’ont pas le niveau d’aller en général » et constitue en cela un déclassement par rapport à la norme. Cette hiérarchie scolaire est intégrée chez les élèves conscients que s’ils sont dans cette voie, c’est que leurs notes ne leur permettaient pas de s’orienter vers la voie générale. Cette même hiérarchie discriminante est particulièrement intégrée au sein de la communauté éducative et il n’est donc pas étonnant que les enfants d’enseignants représentent 1% à 2% des enfants orientés vers la voie professionnelle lorsqu’ils sont près de 30% en CPGE (Classe Préparatoire aux Grandes Ecoles). Cette perception se retrouve chez les parents d’élèves, qui, globalement, aspirent peu à orienter leurs enfants vers ces voies : ils sont à peine 17% à envisager envoyer leurs enfants vers ces voies lorsqu’ils sont en 6ème, un chiffre à comparer aux 32% qui les intégreront au final.
Pourquoi une telle relégation de la voie professionnelle ? La forte valorisation des savoirs académiques par rapport aux savoirs professionnels au sein de notre système éducatif est une première raison qui n’est pas récente. Une seconde raison tient à la conséquence de la massification scolaire et à l’injonction du « tous dans le supérieur » : notre système scolaire valorise les études longues. Comme évoqué précédemment, les voies professionnelles font ainsi pale figure face à la voie générale qui envoie près de 93% de ces élèves vers l’enseignement supérieur. Ce qui se joue ici, c’est le sentiment pour bon nombre de familles que c’est une voie qui ferme le champ des possibles empêchant les élèves de poursuivre des études supérieures ou de changer de filière. Ajouter à cela un mode de sélection qui est effectué en grande partie en fonction du niveau scolaire des élèves – et non car il font partie du milieu ouvrier comme ce fut le cas auparavant –, on comprend qu’elle soit considérée comme une voie de relégation par rapport aux voies technologiques et générales.
Sources
- Aziz Jellab, Les voies professionnelles, entre relégation et valorisation, 2017
- Aziz Jellab, Sociologie du Lycée professionnel : l’expérience des élèves et des enseignants dans une institutiont en mutation, 2008
- DEPP, Références statistiques, 2024
- Fabienne Maillard, L’enseignement professionnel dans le système scolaire : trop peu valorisé et sans arrêt réformé, 2024
- François Dubet, Marie Duru-Bellat, L’emprise scolaire, 202
- Jean-Paul Delahaye, L’école n’est pas faite pour les pauvres, 202
- Noémie Olympio, Trajectoires d’élèves entrants en lycée professionnel : vers des parcours plus « capabilisants » ?, 2020
- ViaVoice, Le lycée professionnel vu par les français – une voie pour tous, 2023