Comprendre le déterminisme social en France à travers l’école

Comme expliqué dans notre dernière étude « Les inégalités dès le plus jeune âge », il existe dès les premières années de la vie de l’enfant un socle de connaissances différent en fonction de l’origine sociale. Dès lors, les inégalités construites depuis la petite enfance se creusent fortement, pour se cristalliser au collège et au lycée. Cela permet d’illustrer et de comprendre les mécanismes du déterminisme social en France à travers un exemple concret.

  1. Le poids de l’origine sociale se fait sentir dès la petite enfance…

Les enfants de milieux favorisés maîtrisent dès 2 ans un vocabulaire plus riche que les enfants de milieux défavorisés. A titre d’exemple, en moyenne, à 3 ans, un enfant de famille favorisée maîtrise 600 mots, contre 300 mots pour un enfant de famille défavorisée.

  1. … puis persiste à l’école maternelle et élémentaire.

A l’issue de la maternelle, les enfants de milieux favorisés obtiennent de meilleures notes en français et en mathématiques que les enfants de familles défavorisées. Cela s’explique par le capital culturel de la famille, le niveau de diplôme, le nombre de livres disponibles dans le foyer …

A l’école élémentaire, les élèves d’origine sociale favorisée réussissent mieux que les enfants de milieux défavorisés dans toutes les matières.

  • 58 % des élèves les moins performants à l’entrée en CP et issus d’un milieu très défavorisé n’ont pas progressé en mathématiques et en français en CM2.
  1. Les écarts se creusent ensuite au collège …

Ce dernier profite davantage aux élèves favorisés que défavorisés, comme en témoignent les taux de redoublement :

  • Une plus grande part d’élèves d’origine sociale modeste redoublants à chaque niveau : 7 % vs 1,8 % dans les milieux aisés en 6ème .
  • Un plus fort taux de décrochage pour les élèves issus de milieux défavorisés : 7,4 % vs 4,1 % dans les milieux aisés en 3ème.

Par ailleurs, d’autres marqueurs forts renforcent l’impact de l’origine sociale :

  • L’« évitement » de certains établissements, avec des phénomènes de ségrégation inter-établissements.
  • Le choix des options (27,2 % des enfants d’origine très favorisée s’inscrivent en latin contre 11,1 % d’origine défavorisée).
  1. … Avant de s’inscrire définitivement dans l’orientation des élèves au lycée

L’orientation en filière professionnelle est fortement marquée socialement : à peine 10 % des enfants de cadres sont orientés vers ces voies, contre plus de 50 % pour les enfants d’ouvriers non qualifiés. Cette orientation est aussi la marque de l’autocensure des familles : pour des notes similaires, seulement 30 % des enfants d’ouvriers opteront pour une seconde générale, contre 66 % pour les enfants de cadres.

En conséquence, les enfants de familles défavorisées sont proportionnellement bien plus nombreux en voie professionnelle.

  • Ainsi, les enfants de cadre sont 46 % à obtenir un BAC S, et inversement, environ la moitié des enfants d’ouvriers obtiendront un BAC pro.
  • On note également la faiblesse des jeunes qui finissent leur parcours en voie générale : ils sont à peine 16 % lorsqu’ils sont issus de milieux modestes (vs 57,7 % de milieux favorisés).

En résumé, les enfants d’origine défavorisée partent dès la naissance avec un désavantage scolaire. Des écarts de langage sont constatables et se transforment bien vite en retards scolaires, puis en auto-censure d’orientation. Il sera donc plus difficile pour un enfant de famille défavorisée d’intégrer certaines filières et métiers.

C’est là le cercle vicieux du déterminisme social : puisque tous ne partent pas de la même ligne de départ, ils ne peuvent pas espérer les mêmes résultats.

Sources:

  • Break Poverty Foundation, Les inégalités dès le plus jeune âge : comprendre et agir, 2022.
  • Grobon S., Panico L. et Solaz A. (2019) : « Inégalités socioéconomiques dans le développement langagier et moteur des enfants à 2 ans », Bulletin épidémiologique hebdomadaire, n°1, Santé publique France, p. 4.

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