Le poids de la pauvreté se mesure dès le plus jeune âge. Les écarts entre les enfants pauvres – au nombre de 900 000 – et les autres enfants s’observent très tôt sur deux dimensions clés du développement :
A travers ces écarts en termes de développement cognitif et de problèmes de santé, ce qui se joue ici, c’est une perte de « chances » pour le futur, tant les analyses soulignent l’aspect prédictif de ces éléments sur la réussite scolaire, la réussite professionnelle et le bien-être futur.
Un premier facteur, largement documenté désormais, tient à la faible fréquentation des modes de garde formels (assistante maternelle et crèches essentiellement) par les enfants les plus défavorisés : 30% y ont recours contre 80% des enfants issus des familles les plus riches, d’après l’OCDE. Ce constat est lourd de conséquences : les études montrent, en effet, que l’accès à une crèche permet de réduire les écarts de développement langagier d’environ 30% entre les enfants situés en bas et ceux situés en haut de l’échelle sociale.
Si 30% des écarts de développement langagier peuvent être gommés par l’accès à un mode de garde formel, qu’en est-il des 70% restants ? Ils sont liés à l’environnement parental. Dit autrement, les expériences vécues au sein du milieu parental sont les plus déterminantes dans le développement de l’enfant. Cet environnement parental, marqué par la précarité, est avant tout un environnement contraint : un budget limité dédié à l’alimentation pouvant entrainer des carences alimentaires, moins d’objets (livres, jouets, etc.) favorisant le développement de l’enfant, moins de temps disponible des parents qui doivent faire face à l’urgence du quotidien, etc. C’est à l’aune de ces contraintes qu’il faut analyser des pratiques parentales qui semblent, à première vue, moins propices au développement de l’enfant : moins de temps de lecture, moins d’activités communes avec les enfants, une place plus importante donnée aux écrans, etc. A cet égard, une des convictions fortes acquise à l’issue de ce travail est la suivante : si les parents pauvres agissent comme tel, c’est bien souvent parce qu’ils ne peuvent pas appliquer les pratiques « recommandées » et non par méconnaissance desdites pratiques. Par conséquent, l’enjeu du soutien aux parents ne tient pas tant à mettre à niveau des connaissances parentales qui ne seraient pas maitrisées qu’à réduire les différents stigmates de la pauvreté qui perturbent l’exercice de la parentalité.
Si les parents pauvres agissent comme tel, c’est bien souvent parce qu’ils ne peuvent pas appliquer les pratiques « recommandées » et non par méconnaissance desdites pratiques.
Relégué au second plan, loin derrière les modes de garde et les aides sociales (allocations familiales notamment), le soutien à la parentalité apparait comme le parent pauvre des politiques familiales. Notre étude des dispositifs d’accompagnement sociaux pilotés par la CNAF (Caisse Nationale d’Assurance Familiale) – LAEP (Lieux d’Accueil Enfants-Parents), REAAP (Réseaux d’Ecoute d’Appui et d’Accompagnement des Parents), Médiation familiale – permet de dresser deux conclusions. Premièrement, l’ampleur de ces dispositifs est très limitée : les LAEP affichent, par exemple, un taux de couverture de 4% des familles ayant un enfant de moins de 6 ans. On y voit la conséquence logique de très faibles financements sur le sujet, 74M€ pour les LAEP, REEAP et la médiation familiale, à mettre en regard des 15 Mds€ dédiés à l’accueil du jeune enfant.
Deuxièmement, bien que peu de données soient disponibles, ces dispositifs atteignent (très) peu les plus défavorisés qui n’y voient pas de réponse à leurs besoins fondamentaux à court terme. L’étude qualitative que nous avons pu mener auprès de 40 familles en situation de pauvreté le confirme : accès aux droits, logement, emploi, garde d’enfants, sont les besoins exprimés en premier lieu par des parents qui ne souhaitent que le bonheur et la réussite de leurs enfants.
Au-delà des dispositifs d’accompagnement sociaux, soulignons le rôle important de la prévention médicale via l’activité de la PMI (Protection Maternelle Infantile) qui, avec 4800 « points de contact » gratuits et des équipes pluridisciplinaires, est un acteur incontournable pour accompagner les ménages vulnérables. Malheureusement, son rôle préventif s’est peu à peu érodé : 30% à 40% des missions réalisées relèvent d’autres enjeux (agrément d’assistantes maternelles, contrôle de professionnelles agréées, etc.), et le rôle d’instruction des Informations Préoccupantes joué par certaines PMI tend à créer une défiance chez les plus vulnérables. Renforcer le rôle préventif des PMI en assurant une relation de confiance avec les ménages défavorisés nous semble être un enjeu clé pour soutenir les parents et réduire le risque que se creusent des écarts avec les ménages les plus favorisés.
Le premier élément marquant de notre revue des acteurs associatifs œuvrant sur ce champ est leur relative fragilité. On y trouve relativement peu d’acteurs nationaux solidement structurés contrairement au champ de l’insertion professionnelle, par exemple. On peut y voir, là encore, la conséquence de la faiblesse des financements publics accordés en la matière.
Ensuite, le tissu associatif est fortement fragmenté, plusieurs milliers d’associations se réclamant du champ du soutien à la parentalité. Pour clarifier les modalités d’action de chaque acteur, nous avons construit une typologie permettant de distinguer trois types d’acteurs :
1. Le développement de stratégies d’accessibilité afin de rendre leurs actions « attractives » et d’atteindre les plus pauvres.
2. L’adaptation des postures d’accompagnement aux conditions de vie des familles en situation de pauvreté.
Ces deux leviers – accessibilité et accompagnement adapté – sont les deux objectifs stratégiques des recommandations que nous émettons.
Nos recommandations ont pour caractéristique principale de cibler de façon plus systématique les personnes en situation de pauvreté. La logique développée ici est celle, désormais bien reconnue, de l’universalisme proportionné s’adressant à tous mais répondant aux besoins des personnes qui cumulent le plus de difficultés. Nous faisons cinq recommandations qui, s’adressant avant tout aux pouvoirs publics, nécessitent le concours des acteurs privés, mécènes et acteurs associatifs.
Nous appelons à un nécessaire changement d’échelle en matière de soutien à la parentalité, pierre angulaire de toute politique visant à rétablir l’ascenseur social en France. Pour qu’un enfant pauvre, né dans notre pays, ne devienne pas mécaniquement un adulte pauvre.
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